Artiste transdisciplinaire, Hamie Robitaille, a travaillé comme designer graphique dans des agences de publicité en même temps d’avoir sa pratique plus personnelle. Aujourd’hui, cette pratique artistique est devenue plus sérieuse ce qui lui amena à faire sa première expo solo en octobre dernier.
Comment en es-tu arrivé à faire de la création artistique ?
C’était l’envie de faire quelque chose pour moi, qui n’est pas régie par un client avec des demandes spécifiques. Je voulais explorer différentes techniques et faire quelque chose qui me plait. Ce qui est plus difficile en design graphique, parce qu’on est pressé de produire, il faut livrer la marchandise à temps. Avec ma production artistique, je souhaite me libérer de cette pression.
Selon toi quelle est la différence entre le design et l’art ? Fais-tu un lien entre les deux pratiques ?
Quand j’étais à l’université, j’avais envie d’abolir la différence entre ces deux pratiques. Après réflexion, je pense qu’en design graphique on répond à une question, tandis qu’en arts on pose une question. La différence est marquée dans le processus, en art on veut que le spectateur se pose des questions en regardant l’œuvre, alors qu’en design on veut qu’il comprenne l’image. Ma pratique se situe justement entre les deux disciplines, je me considère comme une artiste transdisciplinaire.
Quelles sont tes techniques ? Et dans quelles circonstances les as-tu développées ?
Je fais de l’art imprimé : de la sérigraphie, de la gravure sur bois et sur cuivre. Puis, j’ai trouvé une technique qui me permet de faire le pont entre l’art imprimé et l’art numérique, il s’agit de gravure de plaque de photopolymère. Cela me permet de passer de l’ordinateur à une technique en art imprimé plus traditionnel. Parfois je fais l’inverse, je pars d’une gravure sur bois que je numérise.
J’ai d’abord suivi des cours de sérigraphie au Cégep. Puis, j’ai eu un réel coup de foudre avec l’art imprimé lorsque je suis allée voir une exposition sur l’estampe à la BAnQ, j’y ai découvert les techniques d’aquatintes, de gravure sur bois et sur cuivre. J’ai aussi pu expérimenter le Letterpress lors d’un stage d’impression typographique au petit musée de l’imprimerie et j’ai pris des cours à l’Atelier circulaire en gravure sur cuivre.
Quelle est la thématique de ton œuvre Hexachrome ?
J’aime travailler l’abstraction jusqu’à sa limite de distinction, j’appelle ça “l’abstrait-concret”. J’essaye de développer un vocabulaire formel qui évoque un sentiment ou une émotion. Hexachrome est parti d’un jeu dans lequel la symbolique est forte : le tarot. J’ai réalisé différents symboles et j’ai voulu les amener à un niveau d’abstraction dans lequel on les comprend, mais pas tout à fait. Au fur et à mesure, on ne distingue plus des symboles de tarot, ça évoque plutôt telle ou telle chose aux spectateurs. Et c’est ce qui m’intéresse, ce côté abstrait qui reste concret en évoquant des choses réelles.
Aussi, l’humain m’inspire beaucoup. Les situations, le quotidien malsain avec la performance, la pression et l’épuisement professionnel qu’il amène.
Quelles autres thématiques aimes-tu aborder dans ton travail ?
Le mouvement fait partie de ma pratique, le geste dans la matrice, surtout dans la gravure sur bois, c’est le mouvement qui travaille la matière. On retrouve également ce mouvement dans la gravure sur cuivre. D’ailleurs, j’ai travaillé des monotypes sur cuivre dans une série qui s’appelle Hot Sauce, mais avec une raclette comme en sérigraphie, cela m’a permis de travailler le mouvement de la raclette dans l’encre. J’ai tellement aimé cette technique que j’aimerais réaliser une autre série en grand format, les mouvements que j’aurai à réaliser sur ce type de format entraîneraient tout mon corps comme pour une chorégraphie.
Puis, en ce moment je travaille sur un gros projet d’art numérique. Avec mon collectif j’ai monté un spectacle qui s’appelle Beats, dans lequel je danse. Finalement, cette recherche de mouvement m’amène à travailler sur des projets extrêmement différents.
Aussi, l’humain m’inspire beaucoup. Les situations, le quotidien malsain avec la performance, la pression et l’épuisement professionnel qu’il amène. Je questionne le mode de vie montréalais, l’alcool pour essayer d’oublier. Notamment, dans Dérives Nocturnes, c’est souvent quand je marchais dans la rue que des idées de poème me venaient.
Peux-tu me parler un peu plus de Dérives Nocturnes ?
C’est un livre de poésie que j’ai autoédité, car je voulais avoir le contrôle complet sur l’objet, les mots, les illustrations et les photographies, j’ai fait tout le design. J’ai travaillé longtemps dans des bars, donc c’était une sorte d’ode à la vie nocturne montréalaise. De mes observations de cette faune nocturne j’ai écrit plein de poèmes, j’en ai fait une sélection et j’ai aimé les assembler dans un certain ordre pour qu’ils racontent une histoire. Une histoire qui n’est pas la mienne, mais celle d’un Montréal nocturne aussi fun que dépressif. J’ai notamment été inspiré par le livre Désâmé du poète Patrice Desbiens.
Quelle est selon toi la recette d’une image qui fonctionne ?
Une image qui te plaît. Moi je travaille beaucoup la quantité et c’est dans la sélection que je vais trouver la force d’une image. Puis, j’aime travailler dans la série, car je trouve que les groupes d’images ont un impact plus fort qu’une image seule. Enfin, dans l’art imprimé il y a bien évidemment la technique qui compte, c’est complexe d’arriver à une image qui soit bien faite, bien imprimée, avec qualité.
Toutefois, je travaille beaucoup par l’échec.
En art il y a beaucoup d’imprévu et tu n’as pas le choix que d’accepter que certaines choses ne fonctionnent pas comme prévu. Cela m’amène en territoire inconnu, ma pratique est rendue plus véritable. Ce sont les erreurs qui amènent les plus grandes découvertes.
Quels sont tes projets futurs ?
Je travaille actuellement sur un autre livre dans le même style que Dérives Nocturne, mais plus axé sur la pression de travail et l’épuisement professionnel. Comme on l’a évoqué précédemment, j’aimerais faire un grand format de la série Hot Sauce. J’aimerais vraiment développer l’aspect monumental dans mon travail, aller vers le grand format, peut-être en travaillant dans l’espace publique. La performance aussi m’attire beaucoup.
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Entrevue par Alice Hamon