Portrait d’artiste – Valentine Sbriglio, capter l’élan des luttes sociales.

Fév 26, 2025

Entre documentaire, installation vidéo et photographie, Valentine Sbriglio explore les dynamiques collectives, la relation entre les corps et l’espace, et la manière dont un combat social laisse une empreinte émotionnelle, même après son essoufflement.

Un parcours entre cinéma et engagement social

C’est par la musique que Valentine expérimente son premier rapport à l’art. Elle joue de la clarinette, mais se sent limitée par les contraintes techniques, préférant l’interprétation et l’expression aux exigences de la maîtrise instrumentale. Son attrait pour la narration et l’image la mène vers le cinéma, qu’elle étudie d’abord en France sous un angle production et audiovisuel.

Peux-tu nous parler de ton parcours artistique ?
« Mon premier contact avec une discipline artistique, c’était la musique. J’ai joué de la clarinette, mais j’étais très mauvaise en technique (rires). Ensuite, j’ai étudié le cinéma en production audiovisuelle, mais il me manquait une dimension plus artistique. C’est en me tournant vers le documentaire et l’anthropologie que j’ai trouvé un langage qui me correspondait. »

Progressivement, elle s’éloigne du cadre rigide du cinéma pour explorer d’autres formes plus accessibles et spontanées, comme la photo et l’installation vidéo.

« Le cinéma est parfois un médium lourd, qui demande beaucoup de moyens et d’organisation. J’ai envie d’explorer des choses plus légères, comme la photo, qui permettent d’expérimenter différemment. J’ai longtemps vu l’art comme une recherche de performance et de perfection, mais je réalise qu’il faut simplement oser essayer. »

En parallèle de ses études, elle s’implique dans plusieurs projets artistiques et militants, développant un regard qui croise engagement social et création visuelle. 

Malgré plusieurs projets à son actif, Valentine cherche encore sa place dans le milieu artistique et le sens de sa démarche. Intimement lié à une démarche militante et impactante sur les publics, elle réfléchit à la nécessité d’offrir, à travers ses œuvres, un apprentissage pour les plus jeunes.

« Ma pratique est vraiment naissante. […] Je me cherche beaucoup, j’ai besoin de trouver ma place et du sens dans ce que je fais. […] Je réfléchis beaucoup aux métiers que je pourrais faire en parallèle de ma pratique. J’aimerais organiser des ateliers avec des jeunes, avec des personnes incarcérées… Pour moi, c’est important d’avoir un impact concret et pas seulement une production d’objets artistiques. »

Son rapport à l’art oscille entre une recherche de légitimité et une volonté de casser un certain élitisme artistique.

« Il y a quelque chose de très élitiste dans les arts. Pourtant, tout le monde peut tenir un pinceau ou une caméra. On peut faire de l’art juste pour le plaisir, sans chercher la perfection ou la reconnaissance institutionnelle. »

Un art en mouvement : corps, engagement et mémoire

L’intérêt de Valentine pour le mouvement et la chorégraphie joue un rôle clé dans sa pratique. Bien qu’elle n’ait jamais dansé, elle est fascinée par le langage du corps et son pouvoir narratif, citant comme inspirations les chorégraphes et danseur.se.s Rachid Ouramdane et Crystal Pite.

Quelles sont les influences qui ont façonné ta démarche ?
« Je pioche dans plusieurs disciplines artistiques. La danse m’a toujours captivée, même si je n’en ai jamais pratiqué. Je trouve incroyable la manière dont on peut projeter des histoires sur des corps en mouvement. C’est un des arts qui m’émeut le plus. »

Cette passion pour la danse et le mouvement prend une dimension encore plus forte grâce à sa collaboration avec Virginie Alessandroni, danseuse, chorégraphe et amie, qu’elle rencontre au lycée. Leur dialogue artistique devient un élément essentiel dans son processus de création pour Premiers souffles.

Premiers souffles : créer un langage visuel pour la lutte

Crédits photos : Katya Konioukhova

Le projet Premiers souffles est né de son engagement dans le mouvement Youth for Climate lorsqu’elle était au lycée. D’abord impliquée dans la communication et la photographie du mouvement, elle ressent la nécessité de créer un outil militant qui traduit l’énergie et la détermination de la jeunesse.

Peux-tu nous parler de Premiers souffles ?
« L’idée initiale était de créer une vidéo comme un outil de mobilisation, un objet artistique au service de la lutte. On voulait que ce soit projeté dans des manifestations. Mais c’est plus compliqué qu’on l’imaginait en termes de mise en œuvre. J’aimerais que mon travail sorte des lieux d’exposition traditionnels et soit utilisé par des collectifs, dans l’espace public. »

Dans cette œuvre, Valentine collabore avec des danseur.se.s et des musicien.ne.s pour traduire en mouvement et en son l’intensité d’un engagement militant.

Pourquoi avoir choisi la vidéo et l’installation pour exprimer cette énergie ?
« À chaque projet, je me demande : qu’est-ce que je ressens ? Qu’est-ce que je veux transmettre ? Le but est d’attirer l’attention, de captiver, de provoquer une réaction. Ce qui m’importe, c’est que le spectateur ne reste pas indifférent. »

Lors d’une projection en France, une spectatrice âgée lui confie que le film lui a donné envie de descendre immédiatement dans la rue pour manifester. Ce type de réaction la conforte dans l’idée que l’art peut jouer un rôle dans la mémoire et l’héritage des luttes sociales.

Penses-tu que l’art a un rôle à jouer dans la mémoire des mouvements sociaux ?
« Oui, c’est essentiel. Il faut plusieurs canaux d’expression pour documenter une lutte. L’art peut capter l’émotion et l’énergie d’un mouvement d’une manière différente des discours politiques ou historiques. Mon travail ne documente pas les luttes de manière journalistique, mais il laisse une trace émotionnelle de ce que l’on a vécu. »

Explorer la persistance des luttes

Son travail ne s’arrête pas à l’instant de l’engagement : elle s’intéresse aussi à ce qu’il reste après. Le mouvement Youth for Climate qu’elle a connu s’est essoufflé face au mépris des gouvernements et à la répression, un phénomène qu’elle analyse avec lucidité.

Ton travail semble interroger ce qu’il reste d’un mouvement après son apogée. Comment perçois-tu cette dynamique ?
« Un mouvement naît, meurt, puis réapparaît sous une autre forme. Comment tenir dans la durée face au sentiment d’impuissance ? Mon père est militant depuis des décennies, il continue à manifester et à faire grève à 60 ans. Je trouve ça impressionnant. Ça me pousse à réfléchir à comment maintenir l’engagement sur le long terme. Pour moi, la solution réside dans le collectif. »

Projets et ambitions : donner envie d’agir

Actuellement, Valentine travaille sur un projet qui explore la cour de récréation comme microcosme social. Elle s’intéresse à la manière dont les enfants forment des groupes, exercent du pouvoir, reproduisent des dynamiques d’inclusion et d’exclusion.

Quels sont tes projets à venir ?
« Mon projet de master porte sur la cour de récréation. Je veux comprendre comment les groupes d’enfants se constituent, qui prend le dessus et pourquoi. Quelles sont les valeurs qui émergent dans ces interactions ? »

Son travail évolue, mais son souhait reste le même : créer des œuvres qui touchent, interrogent et provoquent une réflexion sur notre engagement individuel et collectif.

Quel impact aimerais-tu que ton travail ait sur le public ?
« Je ne cherche pas à provoquer une émotion pour l’émotion. Ce qui compte, c’est d’amener une réflexion. Si en voyant mon travail, quelqu’un a envie de se mobiliser, ce serait la plus belle récompense. »

À la croisée du documentaire, de la danse et de l’installation vidéo, sa pratique est une invitation à ressentir et à agir, à interroger notre place dans les luttes contemporaines et à imaginer comment les porter plus loin.

Entretien et rédaction : Khadija Ben Ali