Florence Rivest est une illustratrice passionnée par la nature et l’art sous toutes ses formes. Son parcours est marqué par la résilience et une quête constante de connexion avec son environnement. À travers ses créations, elle explore des thèmes profonds et universels en s’inspirant des éléments naturels, des expériences humaines et de son développement personnel. Dans cet entretien, elle nous raconte son cheminement, ses inspirations et son projet phare, Erre, qui invite à ralentir et à redécouvrir le lien entre art et nature.
Parle-moi de ton parcours et de ce qui t’a amenée à devenir illustratrice.
Depuis toujours, le dessin a été pour moi une manière d’exprimer ce que je ressentais, surtout dans les moments où les mots me manquaient. C’était une forme de dialogue avec moi-même, une manière de comprendre mes émotions et de les laisser s’exprimer sur le papier.
Cependant, le chemin pour en faire une carrière n’a pas été simple. Après mes études en design, j’ai fait de la pige dans le domaine de la publicité pour quelques années. J’ai vite senti que mes valeurs étaient mises de côté dans mon travail. C’est là que j’ai commencé à me questionner.
Je savais qu’il me faudrait beaucoup de temps avant de pouvoir vivre pleinement de l’illustration. On m’avait souvent répété que c’est quasi impossible de vivre de son travail en tant qu’illustratrice (au Québec en tout cas). Alors, j’ai commencé petit à petit. J’ai accepté que le succès ne viendrait pas immédiatement et je n’ai pas mis de pression pour que tout fonctionne tout de suite. À côté de mon travail artistique, j’ai pris des emplois comme barista, ce qui m’a permis de subvenir à mes besoins tout en gardant du temps pour dessiner et créer. Ce choix m’a aussi offert des moments d’échange humain que j’adore, car ma pratique artistique reste plutôt solitaire.
Aujourd’hui, après des années de persévérance et de travail acharné, je peux enfin dire que je vis de ma passion à temps plein. C’est aussi le résultat d’une conviction profonde : si je travaille assez fort, cela finira par fonctionner.
La nature est une de tes principales sources d’inspiration. Quel rôle a-t-elle joué dans ton parcours ?
La nature a toujours été une part essentielle de mon processus créatif. Depuis toute petite, j’ai cette connexion profonde avec les éléments naturels. J’y trouve des métaphores puissantes qui résonnent avec l’expérience humaine. Pour moi, un arbre, une feuille ou une rivière peuvent raconter une histoire ou refléter des émotions universelles.
La nature m’aide à ralentir, à réfléchir et à me reconnecter à ce qui est essentiel. Par exemple, observer la texture unique d’un tronc d’arbre ou la forme d’une feuille m’apprend à regarder autrement, à sortir du rythme effréné de la vie quotidienne.

Crédit photo : Audrey-Ève Beauchamp
As-tu d’autres sources d’inspiration ?
Oui, absolument ! En ce moment, je m’inspire beaucoup de mon propre développement personnel. J’ai entamé un travail sur moi-même à travers la thérapie, la lecture de livres de self-help et même l’hypnothérapie récemment.
Ces pratiques m’aident à mieux me comprendre et influencent directement ma manière de créer. Je crois que l’art est une façon de capter et de traduire ce qu’on ressent à l’intérieur. Ce cheminement introspectif me pousse à intégrer de nouvelles dimensions dans mes toiles, ce qui est un véritable défi pour moi.
Comment décrirais-tu ton style ou ton approche en tant qu’artiste ? Y a-t-il des thèmes ou des émotions que tu cherches toujours à explorer ?
Mon approche artistique se caractérise par une grande sensibilité et une recherche de nuances. Je travaille avec des couleurs vives et saturées, mais je commence également à explorer des palettes plus subtiles, moins « percutantes ». L’idée est de créer une forme de beauté douce et contemplative, en cherchant à apporter un peu de lumière dans un quotidien souvent difficile. Ce qui est vraiment important pour moi, c’est d’inspirer la douceur, la compassion et le soin. Je veux que mes œuvres soient comme des fenêtres vers des moments délicats et apaisants. Même lorsque j’aborde des thèmes difficiles, comme mes propres expériences moins roses, j’essaie de les traiter avec beaucoup de nuance, de manière à ne pas choquer, mais plutôt à inviter à la réflexion, tout en préservant cette beauté visuelle.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
En ce moment, mon travail explore la croissance personnelle, une vision féminine du plein air, la guérison et l’importance de la nature dans ce processus. Ces thèmes sont très présents dans mes œuvres, qui vont de toiles plus petites et intimes à des formats plus grands, ouverts. Les petites toiles représentent des moments de réflexion plus privés, tandis que les grandes toiles incarnent une ouverture, un rythme plus fluide, comme un développement ou une évolution dans le temps. Ces toiles sont aussi une manière pour moi de revisiter des expériences personnelles difficiles, tout en mettant en avant la guérison, la renaissance et la beauté qui peuvent émerger de ces épreuves.

Crédit photo : Audrey-Ève Beauchamp
Quelles étaient tes intentions et tes attentes pour cette résidence au Livart ?
Cette résidence a été un véritable cadeau pour moi, un moyen de m’offrir l’espace pour créer pleinement. Avant cela, je travaillais dans un coin de mon salon, avec une lumière insuffisante, ce qui n’était pas du tout idéal. Le fait de louer un studio lumineux, dans un environnement propice à la création, m’a permis de me reconnecter à mon travail de manière plus authentique. C’est aussi un acte de priorisation de mon art et de ma pratique, un moyen de m’affirmer en tant qu’artiste. Cette résidence m’apporte de l’espace, du temps pour me concentrer, mais aussi des rencontres et des échanges avec d’autres créateurs, ce qui nourrit ma propre démarche. Cela m’a permis de m’autoriser à prendre soin de moi et à consacrer plus de temps à ma création.
L’environnement m’a permis de travailler sur des pièces plus grandes, tout en explorant de manière plus approfondie mes thématiques de prédiléction. Ce travail sur la guérison et la relation à soi-même s’est intensifié ici, grâce à l’espace que j’ai eu pour expérimenter sans pression. Le fait de pouvoir travailler sur des toiles de différentes tailles a aussi enrichi cette exploration, car j’ai pu expérimenter avec différentes échelles de narration visuelle.
J’ai vu que tu mentionnes ton projet Erre sur ton instagram, peux-tu m’en parler ?
Erre, c’est mon projet d’amour, né d’un mélange de passions pour la nature et l’art. L’idée m’est venue pendant la pandémie, à un moment où je réfléchissais à ce que je voulais vraiment accomplir en tant qu’artiste. Je me suis demandé : « Si tout était possible, qu’est-ce qui me rendrait vraiment heureuse ? » Et la réponse était claire : créer un espace où l’art et la nature se rencontrent de manière authentique.
Le concept d’Erre est simple : inviter les gens à ralentir et à se reconnecter à leur environnement en dessinant ou en peignant directement en plein air. Mes ateliers et expéditions sont conçus pour être accessibles à tous, que ce soit des novices curieux ou des artistes chevronnés. Ce n’est pas la qualité du dessin qui compte, mais l’expérience, le moment de contemplation et la découverte de la beauté qui nous entourent.
J’organise des activités dans divers cadres : des parcs urbains à Montréal, des refuges en hiver, ou encore des expéditions de canot-camping l’été. Chaque lieu offre une opportunité unique de se recentrer et de s’ouvrir à la créativité. Mon rêve serait de rendre cette pratique accessible au plus grand nombre et de continuer à bâtir des ponts entre les gens, la nature et l’art.


Crédit photos : Magalie Massey
Peux-tu nous parler de tes projets futurs ou de tes aspirations en tant qu’illustratrice ?
Je vais bientôt déménager sur l’île de Vancouver, ce qui représente un grand changement. J’espère pouvoir y trouver des opportunités pour exposer, même si j’ai toujours un peu le sentiment d’être une « imposteur » en tant qu’artiste, surtout parce que beaucoup de mon travail est de l’illustration. Je souhaiterais beaucoup organiser, d’ici là, une exposition solo, où je pourrais présenter ce travail actuel et très vulnérable, qui traite de mon développement personnel et de mon parcours à travers des expériences difficiles. Ce travail est très intimement lié à la guérison et à la beauté, et je voudrais pouvoir le partager de manière plus large. J’aimerais vraiment franchir une étape et pouvoir exposer dans une galerie ou au sein d’une organisation plus reconnue. C’est un défi que je me donne, afin de solidifier ma place en tant qu’artiste dans le milieu.
Y a-t-il une œuvre ou un projet dont tu es particulièrement fière, et pourquoi ?
C’est difficile de choisir, mais deux projets récents me viennent en tête. Le premier, ce sont les illustrations que j’ai réalisées pour un site web destiné aux proches aidants. C’était un mandat profondément humain et riche en émotions. J’ai créé 15 illustrations sur différents aspects de la proche aidance, un univers qui m’a permis de comprendre à quel point ces personnes jouent un rôle essentiel dans le tissu social, souvent sans reconnaissance. Le défi était de représenter des thèmes complexes et émotionnels, comme le deuil ou l’épuisement, avec sensibilité et sans tomber dans les clichés ou la tragédie. C’était un immense privilège de pouvoir me pencher sur ces réalités et de concevoir des visuels qui parlent aux gens qui les vivent. L’équipe m’a fait entièrement confiance, et cette expérience m’a énormément marquée.
Un autre projet que j’ai adoré, bien qu’il soit dans un tout autre registre, est ma collaboration avec l’agence de design LG2 à Montréal pour le rebranding d’une marque de conserves de ragoût. J’ai réalisé des illustrations à la gouache réalistes pour les nouveaux emballages. Ce projet était à la fois technique et créatif, avec une attention minutieuse aux détails. Le fait que l’équipe de designers, parmi les meilleurs au Québec, m’ait engagée pour ce projet était incroyable. Leur exigence m’a poussée à donner le meilleur de moi-même. Ce qui est magique, c’est de voir mon travail en épicerie maintenant, partout. C’était aussi un rebranding audacieux pour cette catégorie, et d’avoir participé à un tel projet, c’est une immense fierté.