Portrait d’artistes : Diane Marissal & Jérémie Leblanc-Barbedienne

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Avr 22, 2025

Crédit photo : Mathilda Rubio

Diane et Jérémie forment un duo artistique dont la pratique se construit autour des notions de matière, de mémoire et de trace. Leur collaboration est née d’une affinité commune pour l’exploration des formes et des matériaux, ainsi que d’un dialogue constant entre leurs sensibilités respectives. 

Plongés dans une résidence artistique montréalaise, le duo – dont la complicité transparaît autant dans leur dynamique que dans leur pratique – a profité de cet espace-temps pour pousser plus loin leur recherche plastique.

La naissance d’un duo

Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ? 

“On a commencé par l’objet imprimé, le livre, le papier. En 2016, on avait envie d’un projet plus commun et on est partis un an à Buenos Aires. C’est une ville qui nous a énormément marqués, notamment notre rapport aux contes, aux histoires, à la narration. Notre façon de travailler ensemble a commencé à se définir là-bas, notamment la couleur avec les choix de palettes et les médiums qu’on utilise.”

Ils commencent alors par produire des images imprimées, qui deviennent la base de leur collaboration. Très vite, le duo s’essaie au stop motion en papier découpé : 

On faisait des décors en papier découpé et on s’est retrouvés avec énormément de papier. C’est comme ça que les collages sont apparus.

Leur langage visuel se forge peu à peu, à partir de papiers teintés et de couleurs industrielles, posant les jalons d’une esthétique toujours présente dans leur travail aujourd’hui. Parmi les artistes qui les inspirent, Diane et Jérémie mentionnent Shirley Jaffe, Paul Cox, Etel Adnan et Henri Matisse. 

Leur approche de la couleur, des formes et de la composition nous interpelle, chacun à sa manière. Il y a une tension entre spontanéité et structure qui nous parle beaucoup.” 

Le duo entretient également une pratique d’observation constante : ils photographient, dessinent, collectent des échantillons et prennent des notes.

Photos du carnet d’observation de Diane Marissal

Méthodologie, rigueur et quotidien : un travail de fourmi

Derrière l’apparente spontanéité de leur production, Diane et Jérémie adoptent une discipline de travail rigoureuse, presque quotidienne.

Comment travaillez-vous au jour le jour ? 

On a une façon de travailler qui fait qu’on produit beaucoup d’images quotidiennement. On travaille tous les jours, c’est presque de l’entraînement. Il y a une forme de rigueur dans notre travail hyper importante, c’est un travail de fourmi au quotidien. On est très studieux, très bons élèves.

Point de départ systématique dans notre travail : on se pose autour d’une table, feuille, crayon, et on écrit. On fait plein de to-do lists. On est les rois des to-do lists.

Cette organisation leur permet de conserver une grande fluidité tout en explorant leurs idées. Leur duo fonctionne comme un binôme complémentaire. Leur processus se traduit par un échange fluide, nourri par des références communes mais aussi par des désaccords productifs. Cette dynamique de travail, à la fois exigeante et complice, leur permet de construire un langage visuel partagé, fondé sur la persévérance, la précision et l’écoute.

Une résidence comme espace d’expérimentation

Pour Diane et Jérémie, chaque résidence est l’occasion de poser un nouveau cadre de création. Ils conçoivent des dispositifs précis, souvent nourris d’écriture, qui orientent la conception de leurs œuvres et influencent même les titres qu’ils choisissent. Leurs outils, leurs médiums, leur manière de collaborer à quatre mains : tout est pensé pour que la contrainte devienne le point de départ de l’expérimentation.

À Montréal, cette logique a donné naissance à une pièce centrale de l’exposition : une œuvre in situ intitulée Un monde au creux de notre main, créée spécifiquement pour la première salle. Ils souhaitaient qu’elle rende visible leur processus : les répétitions, les variations, la recherche autour du motif. Conçue à partir des dimensions de la pièce, elle rassemble 107 fragments sélectionnés dans une production plus vaste, illustrant leur volonté d’épuiser leur vocabulaire formel jusqu’à révéler ce qui le traverse en profondeur.

Crédit : Mathilda Rubio

Loin de freiner leur créativité, ces contraintes agissent comme des déclencheurs. C’est dans ce cadre structuré qu’ils trouvent leur liberté, et que leur travail devient véritablement ludique et stimulant. 

“ Pour nous, la contrainte est vraiment le premier champ d’expérimentation. On se met beaucoup de règles, et c’est à partir de là que le jeu commence.” résume Jérémie.

L’exposition actuelle marque une étape importante dans le parcours du duo, notamment par l’introduction assumée de la peinture comme médium central. Jusqu’ici, leurs œuvres picturales avaient été présentées de manière ponctuelle. Cette fois, elles occupent une place structurante dans le dispositif spatial, révélant un cheminement du petit au gigantesque, du collage au tableau, en passant par des installations suspendues. Ce passage vers la peinture s’est construit progressivement, notamment à travers l’expérience de la fresque. 

“ C’est la première fois qu’on présente de la peinture comme pièce maîtresse. Ça fait un peu peur, la peinture… Est-ce qu’on est légitimes ? Est-ce qu’on le fait parce qu’on est artistes et qu’un artiste doit faire de la peinture ?”

Pour Diane et Jérémie, peindre implique un rapport de légitimité complexe, tant ce médium porte une histoire forte, presque intimidante. Venant de l’image imprimée, qui est perçue comme étant modeste et fragile, ce glissement vers la peinture constitue une affirmation nouvelle : celle de s’approprier cet espace avec leurs propres outils, leur langage, leur méthode, sans se conformer à un modèle académique, mais en s’appuyant sur leurs convictions personnelles et partagées.

Crédit : Katya Konioukhova

Le titre comme espace de narration

Chez Diane et Jérémie, le titre occupe une place centrale dans le processus de création. S’ils refusent généralement de livrer une interprétation directe de leurs œuvres, ils considèrent le titre comme un indice. C’est le seul élément narratif qu’ils choisissent de rendre visible, comme un fil discret qui relie le spectateur.ices à leur univers. 

Diane, qui note constamment des fragments de phrases glanées dans ses lectures, aime détourner les mots de leur contexte pour leur offrir un sens nouveau, à la manière de leur travail plastique. Jérémie, de son côté, préfère souvent nommer les pièces après la création, en fonction de ce qu’il perçoit une fois l’image réalisée. Tous deux s’amusent de cette tension entre texte et image, qu’ils exploitent pour complexifier la lecture de leurs œuvres.

Un message à retenir

Derrière la richesse visuelle de leur travail, Diane et Jérémie portent une intention claire : que le public entre dans l’exposition sans crainte et en ressorte avec une forme de douceur.  Dans Chasser les fantômes, cette volonté s’incarne pleinement. Le titre de l’exposition ouvre une interrogation sur la fonction de leurs formes : sont-elles là pour retenir les fantômes ou les chasser ? Leurs motifs obsessionnels, leurs couleurs vibrantes et leurs compositions récurrentes agissent comme des échos de nos propres obsessions, de nos objets familiers et de nos souvenirs persistants. Dans cette ambiguïté, ils cherchent à éveiller un regard neuf sur ce qui nous entoure, une manière de redécouvrir le banal avec émerveillement. À la manière de Fernand Léger ou de Matisse, ils explorent la beauté du quotidien. Et s’il fallait le rappeler : la couleur n’est pas réservée aux enfants, et la joie n’exclut ni la complexité ni la profondeur.